Lettre ouverte par des membres élus. Section Économie du Conseil national des universités : L’« excellence scientifique » comme prétexte au scientisme

Lettre ouverte par des membres élus. section Économie du conseil national des universités : l’« excellence scientifique » comme prétexte au scientisme

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Section {Économie} du Conseil national des universités :
L’« excellence scientifique » comme prétexte au scientisme

Chère collègue, cher collègue,

Il nous semble nécessaire de porter à votre attention une dérive, au sein de la section 05 {Économie} du Conseil national des Universités, qui conduit à profondément dénaturer notre métier d’enseignant-chercheur des Universités et qui met en danger notre communauté. De surcroît, cette dérive illustre de sérieux dysfonctionnements de nos institutions d’évaluation et de gestion des corps des Maîtres de conférences et des Professeurs.

Nous assistons, au fil des séances de la section, à une pression grandissante pour
que l’unique critère d’évaluation devienne le nombre de publications dans les seules revues académiques. Ce critère est deux fois réducteur. D’un côté, il ne prend en compte qu’une forme particulière de production de connaissances, à l’exclusion des ouvrages, des publications dans les revues professionnelles, des directions de thèses, des responsabilités scientifiques dans les réponses aux appels à projets, etc. De l’autre côté, il exclut de l’évaluation les activités d’enseignement et les responsabilités collectives qui font pourtant partie de nos missions d’enseignants-chercheurs des Universités.

Deux évènements récents illustrent cette pression grandissante. Au mois de mai
2009, pour la promotion des professeurs au premier échelon de la classe exceptionnelle, il ressort les résultats suivants par classe d’âge – il y avait 91 candidats pour 8 supports.

– Collègues nés avant 1950 : 44 candidats, 0 promu – taux : 0 %.

– Collègues nés après 1950 et avant 1960 : 70 candidats, 1 promu – taux : 1,4 %.

– Collègues nés après 1960 : 21 candidats, 7 promus – taux : 33,3 %.

Ajoutons qu’aucune femme n’a été distinguée et que les promus sont majoritairement en poste aux universités Toulouse-I et Paris-I.

Un tel résultat constitue une rupture par rapport aux pratiques antérieures de notre section. Les promotions avant cinquante-cinq ans restaient exceptionnelles parce que les arguments suivants faisaient alors la quasi unanimité. D’une part, l’accès à la classe exceptionnelle a pour objet de récompenser l’ensemble de la carrière professionnelle. D’autre part, la promotion systématique de collègues très jeunes entraîne à terme un
blocage des avancements (en effet, comme le nombre de professeurs à la classe exceptionnelle est une fraction constante du total, si l’on promeut, par exemple, les collègues à vingt ans de la retraite, on en promeut deux fois moins qu’à dix ans de la retraite).

Alors que les retards de carrière s’accumulent, il est difficile de ne pas voir dans ce résultat un comportement de clan voire de copinage puisque même des candidats qui disposent de très bons dossiers avec des travaux « standards » mais qui sont âgés de plus de 50 ans ont été exclus de la promotion à la classe exceptionnelle.

Au mois de septembre 2009, la section devait se prononcer sur deux changements de corps (de maître de conférences à professeur) par la procédure dite du 46.3 encore appelée « voie longue ». Dix-neuf universités avaient demandé un poste par cette procédure mais le Ministère n’en a ouvert que deux. Seul un des deux postes a été pourvu, celui dont le candidat satisfaisait ce critère de l’« excellence scientifique » à la seule aune de ce profil normalisé (homme de 45 ans s’inscrivant dans le courant dominant de la discipline, privilégiant les publications aux autres modes de valorisation de la
recherche et ne s’investissant que subsidiairement dans les autres compartiments du métier d’enseignant-chercheur). La section a ainsi abandonné une possibilité de promotion pour un poste destiné à valoriser la recherche au sein d’un PRES et dont le candidat – une femme – faisait pourtant montre d’une activité de recherche satisfaisante. La section, en privilégiant encore et partout le même profil, détourne le système d’accès au corps des professeurs qui prévoit une pluralité des voies d’admission : agrégation
externe, agrégation interne et procédure du 46.3.

On observe ainsi un double manque de diversité. D’une part, c’est toujours la même vision réductrice de la recherche en économie qui est mise en avant ; d’autre part, c’est toujours la même vision étroite des missions des enseignants-chercheurs qui est promue. Cette dérive relève d’une forme d’obscurantisme. Elle va nous priver des libertés dont nous disposons pour conduire nos activités de recherche : liberté des thèmes, liberté des approches, liberté des méthodes et liberté des modes de valorisation. Elle
ne va pas permettre que soient justement reconnues les activités d’enseignement et d’administration.

Elle met enfin en danger notre communauté puisqu’elle organise finalement le blocage des carrières des collègues alors qu’il conviendrait au contraire de garantir à tous ceux qui se mobilisent d’une manière ou d’une autre pour l’Université une reconnaissance suffisante de leur investissement.

Les membres élus de la section Économie du Conseil national des universités
du SGEN-CFDT et du SNESup-FSU suivants

Denis Bailly (Université de Bretagne occidentale), Marie Delaplace (Université de Reims), Marion Gaspard (Université Lumière Lyon-II), Sandye Gloria-Palermo (Université de Nice), Thomas Jobert (Université de Nice), François Legendre (Université Paris-Est-Créteil-XII), Edwin Le Héron (Institut d’études politiques de Bordeaux), Pierre Le Masne (Université de Poitiers), Yannick Lung (Université Bordeaux-IV), Michel Rocca (Université Pierre Mendès-France Grenoble), Bernard Vallageas (Université Paris-Sud-XI)

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