Notre collègue et ami Edwin Le Héron nous a quitté le 23 avril 2025. Professeur à Sciences Po Bordeaux, établissement qu’il avait rejoint en 1987, Edwin était président de l’Association pour le Développement des Études Keynésiennes (ADEK) depuis 2000. Il a aussi été membre du conseil d’administration de l’AFEP (entre 2010 et 2012, puis de 2017 à 2022) et membre du CA des Économistes Atterrés (de 2011 à 2016). Il avait été fait Chevalier de la Légion d’honneur en 2017.
Keynésien convaincu, il fut dans les années 1980 le collaborateur d’Alain Barrère. Pédagogue hors pair, il était très apprécié de ses étudiants et étudiantes. Toujours engagé dans la vie collective universitaire, il joua un rôle actif au sein du CNU pour promouvoir le pluralisme en économie, et apporta un soutien indéfectible aux jeunes collègues qui débutaient leur carrière ou aspiraient à embrasser une carrière universitaire.
Les doctorantes et doctorants, jeunes chercheuses et chercheurs qui l’ont rencontré pour la première fois lors d’une conférence en ont toutes et tous gardé un souvenir impérissable : ils ne pouvaient pas en placer une – Edwin était très bavard ! – mais repartaient avec des pistes de recherches fécondes.
Grâce à son engagement, l’ADEK a joué un rôle central dans l’organisation de conférences post-keynésiennes internationales à Dijon, Grenoble, Bordeaux et Lille.
Sur un plan scientifique, les contributions post-keynésiennes d’Edwin au cours des trente dernières années ont été nombreuses. Il fut un des principaux animateurs de l’intense débat théorique sur l’hypothèse d’endogénéité de la monnaie qui a animé la communauté post-keynésienne à l’échelle internationale à partir des années 1990. Ses travaux en macroéconomie et finance ont permis de réconcilier l’approche stricte de la monnaie endogène et celle de la préférence pour la liquidité et ont débouché sur une conception pragmatique du central banking qui fait référence aujourd’hui.
Soucieux d’ancrer son analyse de la politique monétaire dans les expériences historiques, Edwin ne manquait pas de s’insérer dans les programmes de recherche en histoire de la pensée économique.
Enfin, Edwin a marqué de son empreinte l’évolution méthodologique des travaux keynésiens français en étant le premier et principal promoteur, en France, de la modélisation Stock-flux-cohérents (SFC) impulsée par Marc Lavoie et Wynne Godley à partir des années 2000. Cette forme de modélisation hétérodoxe permet de dépasser les limites de la formalisation hors sol fondée sur des hypothèses irréalistes, telles que celles des modèles néoclassiques DSGE. Selon Edwin, ces derniers n’avaient pas de sens car ils ne peuvent inclure d’emblée de jeu la monnaie ou l’État alors que la prise en compte des institutions est essentielle pour élaborer un modèle solide. Cette modélisation SFC est aujourd’hui largement mobilisée par les jeunes chercheurs hétérodoxes travaillant dans le champ de la macroéconomie écologique.
Là-encore, Edwin a été fédérateur, il n’était pas question pour lui d’opposer approche quantitative et approche qualitative dès lors qu’elles s’inscrivaient dans une perspective d’économie politique : lors de la dernière conférence qu’il a organisée, à Bordeaux, en juin 2022, sur le thème des monnaies et la transition écologique, il avait insisté pour construire un programme résolument pluraliste mobilisant des approches hétérodoxes variées (monnaie endogène, monnaie libre de dette, pluralité monétaire, approche circuitiste, théorie de la monnaie moderne MMT, institutionnalisme monétaire, etc.). Ce fut un succès !
Edwin avait fait sienne la citation suivante de Keynes : « Le problème politique de l’humanité consiste à combiner trois choses : l’efficacité économique, la justice sociale et la liberté politique ». Son amour du rock et de la moto l’amenait parfois à décliner des invitations à des colloques pour se rendre à des concerts ou aller patauger dans la boue avec sa machine lors de compétitions de trial en Corrèze ou dans le Gers ! Son dernier post sur Facebook aura été l’annonce de la mise en vente de sa Montesa 348 : ce jour-là, nous avons tous compris qu’Edwin nous disait adieu, à sa manière.
L’AFEP adresse ses plus sincères condoléances à son épouse, à ses deux filles, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui l’ont côtoyé et aimé.