un hommage de Michel Renault, Maître de conférences, Faculté des Sciences Économiques -Université de Rennes 1.
Son duel hebdomadaire avec Dominique Seux égayait les vendredis matins des auditeurs de France Inter. Bernard Maris était un « économiste atterré », aujourd’hui il fait partie des 17 victimes des jours sombres que nous venons de vivre… et nous sommes tous atterrés.Ces massacres ont touché des symboles de la liberté, de la liberté de penser. De penser contre ; contre l’ordre établi, contre les pensées uniques… Bernard Maris était un économiste libre, critique de la pensée unique néo libérale, celle qui, comme le dit Régis Debray, finit par transformer les hommes politiques en économistes. En filigrane de son ouvrage sur John Maynard Keynes, l’économiste « citoyen » pour reprendre ses termes, c’est aussi son portrait qu’il dessinait : un économiste citoyen, engagé, joyeux, iconoclaste, pourfendeur des idées reçues, des « diafoirus », n’ayant pas peur d’aller à l’encontre des « économistes au dessus de tout soupçon »…Cette perte de la citoyenneté des économistes, le réductionnisme scientiste qui les réduits à de simples « experts », conseillers des princes et des puissants, il n’avait de cesse de les combattre. Il écrivait ainsi dans « Keynes ou l’économiste citoyen » (1) : « Quel économiste aujourd’hui pense à la Cité ? Aucun. Tous ont l’œil rivé sur le PIB, triste Moloch, qui mastique aussi bien des gaz d’échappement que des kilos de nourriture. Quel économiste écrit pour ses petits-enfants, comme Keynes ? Aucun. Tous écrivent pour l’urgence du demi-point de croissance ou du quart de point de pression fiscale, quand ce n’est pas pour révérer le « marché » ou la « concurrence » dans un fatalisme de religion primitive ».Que ce soit à travers ses ouvrages, ses chroniques radiophoniques, sur France inter par exemple, sa collaboration à Charlie Hebdo… il mettait en cause les dogmes de « la Science Économique en majuscules et en chapeaux pointus ».Son « Anti-manuel » d’économie (2) constitue ainsi une introduction stimulante à cette « science lugubre » comme la désignait Carlyle. Dans l’introduction du second tome de cet ouvrage il écrivait : « Et si l’inutile, la gratuité, le don, l’insouciance, le plaisir, la recherche désintéressée, la poésie, la création hasardeuse, engendraient de la valeur ? Et si les marchands dépendaient –ô combien-des poètes ? Et si la fourmi n’était rien sans les cigales ? Voici maintenant venu le temps d’affirmer, contre les économistes, que l’inutile crée de l’utilité, que la gratuité crée de la richesse (de la vraie : sonnante et trébuchante), que l’intérêt ne peut exister sans le désintéressement ».Dans la conclusion de cet ouvrage, il évoquait le fait que la peur, les périodes troublées, voient arriver les démagogues, ceux qui rassurent le peuple, et peuvent mener à l’hystérie collective et aux comportements abjects.Alors à ces temps sombres opposons l’insouciance, le don, la gratuité, la liberté, la poésie, l’humour, la solidarité, la citoyenneté… tout ces mots sont le plus bel hommage rendu à cet homme qui les défendait et les incarnait.
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(1)Science Po, Les presses, 2007
(2) Editions Bréal, 2 tomes, 2003 et 2006