De la difficulté de faire entendre les mauvaises nouvelles

De la difficulté de faire entendre les mauvaises nouvelles

Article original

De la difficulté de faire entendre les mauvaises nouvelles ; même s’il s’agit d’essayer d’empêcher quelles ne se réalisent… Dans le domaine de l’entreprise privée comme dans le domaine politique…

En 1977, un des grands patrons d’une très grande entreprise mondiale où je travaillais à l’époque (Ma situation actuelle ne me permet pas de donner le nom de cette entreprise dont je suis toujours salarié et donc soumis au devoir de réserve), nous a convoqués dans son bureau, mon chef direct et moi même. Il nous a alors posé avec clairvoyance la question suivante: « Compte tenu de le taille actuelle de notre entreprise (environ 450 000 employés), vous semble-t-il raisonnable de penser que nous allons pouvoir continuer d’exister avec un tel taux de croissance et avec des profits aussi importants (à l’époque les entreprises de cette taille affichaient un taux de profit trois à quatre fois moindre que celui de cette entreprise). Mon chef direct me demanda de travailler sur cette question. Ma réponse, après une série de recherches et divers essais de modélisation, fut que la perspective à moyen et à long terme d’une croissance à deux chiffres (comme c’était le cas alors) accompagnée de taux de profits brut eux aussi à deux chiffres, pour une entreprise de cette taille n’était pas envisageable.

Nous avons présenté cette analyse à ce grand dirigeant, qui l’a acceptée et l’a lui même retransmise aux plus hauts niveaux de la hiérarchie. Bien entendu l’idée derrière cette analyse était de préparer l’entreprise à une gestion différente tenant compte de moins de croissance et de profits moins élevés. Mais les dirigeants aux plus hauts niveaux n’étaient pas prêts à entendre ce message où il était en fait question d’une “réduction contrôlée des objectifs” (Gracefull degradation, en anglais) ils n’ont donc pas voulu entendre nos nouvelles, nous traitant de Cassandres et de pessimistes alors que tout allait si bien ils ont donc décidé de ne rien faire au sujet de notre analyse…

A notre grande tristesse, nos prévisions se sont réalisées une quinzaine d’années plus tard, ce qui a conduit à des politiques de réduction de personnel drastiques par leur ampleur,( plus de 100 000 suppressions d’emplois) et brutales par leur rapidité (moins de deux ans) alors que nous avions prévenu quinze ans plus tôt que le rythme de croissance et les taux de profits ne seraient pas soutenables à moyen et long terme… Il me semble que cet exemple réel, extrait du monde de l’entreprise privée pourrait s’appliquer à un niveau plus large devant les résistances des “puissants de ce monde” face aux avertissements multiples concernant l’aspect insoutenable d’une croissance sans fin de nos économies…

Les auteurs qui prédisent des temps futurs difficiles sont eux aussi qualifiés de Cassandres ou d’oiseaux de mauvais augure, l’économie a d’ailleurs souvent été surnommée « Dismal science » (Science lugubre) par les anglo-saxons… Alors que le but des économistes n’est en fait que d’essayer de prévenir les désastres en en cherchant à l’avance les causes et les remèdes possibles, mais comme ces remèdes ont souvent un goût amer pour les tenanciers du pouvoir économique, personne parmi ces personnes n’aime en entendre parler… Je renvoie à l’interview de Paul Jorion sur France Inter le 24 juillet 2010: si nous ne faisons rien pour réformer en profondeur le système politique, économique et financier mondial, des risques importants de désordres d’un côté et de tentations de réactions totalitaires de l’autre seront à craindre…(je cite de mémoire pardon…)

Le but de ces avertissements n’est pas de démoraliser les auditeurs ou les lecteurs mais bien d’essayer de prévenir les désastres qui ne manqueront pas de ce produire si on ne fait rien…
Il est clair qu’aucun des auteurs de ces avertissements prévoyant un futur difficile ne seraient heureux de voir leur prévisions se réaliser. Cela voudrait simplement dire qu’ils n’auraient pas été entendus…

Il m’arrive parfois d’être heureux de ne pas avoir de petits enfants… Quel monde allons-nous-leur laisser? Et je ne limite pas ici cette question à l’aspect écologique d’un monde pollué, mais j’y inclus la perspective d’un monde que des tensions socio économiques graves, causées par un sous emploi chronique et la pauvreté qu’il entrainera, rendront encore plus violent pour les personnes vulnérables que celui dans lequel nous vivons déjà…

Que faisons-nous pour préparer notre monde à une économie où l’accroissement des gains de productivités va continuer à créer de plus en plus de richesses matérielles tout en diminuant les offres d’emplois, et par là même réduire les revenus disponibles pour acheter ces produits en excédent ? Ce ne sont pas les machines hautement automatisées qui consommeront leurs propres produits. Il serait temps de penser une autre organisation de la société comme des auteurs tels que Pierre Larrouturou ou Martin Ford le suggèrent dans leurs livres respectifs
Pierre Larrouturou « Crise la solution interdite » ou Martin Ford « The lights in the Tunnel », ou encore Dominique Méda dans ses nombreux ouvrages. A ces avertissements de type sociétaux il convient bien entendu d’ajouter les avertissements de type environnementaux à une société fondée sur une croissance infinie, comme si les ressources terrestres étaient inépuisables et pour laquelle existerait une « poubelle » également infinie pour y déposer les déchets créés par cette production débridée Voir les travaux de Georgescu Roengen sur entropie et économie.. On relira aussi avec intérêt mais aussi avec pas mal d’amertume le livre de Vance Packard, écrit en 1960 : « The Waste makers » (Les fabricants de déchets) livre où l’auteur faisait déjà les prévisions d’un monde où le gaspillage des ressources deviendrait catastrophique, livre encore d’actualité d’où son intérêt mais aussi cause d’amertume car il n’a pas été écouté et que ses prévisions se sont réalisées…

Paul Tréhin

Article original

Leave a Comment

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Vous aimerez aussi

X