Actions de l’AFEP | composition des listes de revues en économie et gestion à l’AERES : un nouveau stigmate du recul du pluralisme

Rappel : les actions de l’AFEP sur le dossier des listes de revues :

Après avoir mené en 2011 un important travail sur l’évaluation dans les sciences économiques qui a donné lieu à un rapport « Pour une nouvelle démarche d’évaluation des laboratoires de recherche, des enseignants-chercheurs et des chercheurs en économie », et après avoir alerté Pierre Glaudes, Directeur de l’évaluation de l’AERES, sur l’absence de pluralisme particulièrement marquée dans les dispositifs d’évaluation de la recherche, l’AFEP a intégré la commission de travail.

La commission était composée comme suit : délégués scientifiques pour l’économie et la gestion de l’AERES (4 membres); représentants du CoNRS Section 37 (2 membres) ; représentants des CNU 05 (2 membres) et 06 (2 membres); représentants de l’AFEP (1 membre), de l’AFSE (1 membre) et de la FNEGE (2 membres).

Mis en place à partir de juillet 2012, le processus partait d’un constat, rejoignant celui de l’AFEP, et précisé par Pierre Glaudes :
i- Le décrochage du taux de « produisants » en économie-gestion par rapport aux autres disciplines (taux de l’ordre de 80 % en économie contre 100 % en droit par exemple) ;
ii- Le caractère étroit de la liste AERES/CoCNRS ;
iii- Des « publications » réduites aux seules publications dans des revues.

 « Mon désir est de constituer une liste de revue AERES, selon la méthodologie de l’agence, selon la logique d’évaluation des pairs qui se fasse par consensus, en tout cas par très large adhésion » (P. Glaudes).

Durant l’ensemble du processus, l’AFEP défend une liste de revues large et plate (c’est à dire sans classement),  ainsi qu’une importante ouverture vers d’autres supports de production scientifique.

Deux groupes de travail sont créés :

  • l’un est consacré à la « liste de revues »,
  • l’autre aux « autres produits de la recherche »,

Le groupe de travail « autres produits de la recherche » aboutit à une ouverture assez large des supports de publications: articles dans des revues non référencées, chapitres d’ouvrage, ouvrages, articles dans des revues professionnelles …

Mais cette discussion sur la variété des supports de publication reste très secondaire dans le débat général, et surtout dans les pratiques d’évaluation de la recherche. Tout au long de ces deux années de débat, celui-ci se cristallise autour de deux points :

  1. le périmètre de la liste des revues qui reste le principal critère d’évaluation des enseignants-chercheurs ;
  2. le classement de ces revues, dont l’AFEP répète inlassablement que c’est un instrument qui agit contre le pluralisme de la pensée, des méthodes, et des objets ; qui entrave le renouvellement des professeurs non issus du mainstream ; et qui opère comme un dispositif de domination majeure.

 Commission de travail durant l’année 2013-14

Deux pistes de travail sont décidées par cette commission durant l’année 2013-2014: un travail sur les revues françaises ; l’élaboration d’une définition d’un ensemble de revues d’un domaine « Économie  et institutions ».

L’AFEP salue à l’époque cela comme un progrès, et décide de participer à ce processus.

Revues françaises

Afin de mieux évaluer les revues françaises -particulièrement malmenées par les indicateurs internationaux du seul fait de la langue qui draine un plus faible lectorat-,  le groupe de travail mène une vaste investigation. Une cinquantaine de revues françaises reçoivent un « questionnaire » comportant 118 questions très variées allant de la gouvernance à la gestion des referees et au temps de traitement moyen d’un article. 23 revues renseignent ce questionnaire.

Lors d’une réunion plénière, les DS annoncent que les revues qui ne répondront pas au « questionnaire » ne seront pas examinées en vue d’un éventuel reclassement. Le traitement des réponses est assuré par les DS de l’AERES, et si les membres de la commission sont informés des conclusions, ils n’ont aucun accès aux questionnaires ni aux décisions.

o   Présupposément sur cette base, trois reclassements sont proposés par les DS.

  • Revue économique passe en rang A. arguments :
    – L’Argument principal mobilisé par les DS est celui de l’Impact factor très favorable (jugement d’autorité primant sur les 117 autres questions de la grille d’évaluation)
  • Revue d’Étude en Agriculture et Environnement / Review of Agricultural and Environmental Studies (ex. Cahier ESR) en rang B
  • Economie rurale. Passe en rang B avec des arguments très subjectifs  énoncés par les DS :
    – Un bureau renouvelé par tiers ; 8 % d’auto publication ; un taux de rejet élevé ; un temps réduit de traitement ; un changement de génération et l’utilisation d’outils collaboratifs du type «wiki ».

Il est proposé au vote une liste classée de revues françaises, permettant notamment de faire entrer dans le périmètre trois revues françaises qui n’étaient, jusque là, pas dans les classements CNRS et FNEGE : RFSE, RECMA et Tiers-monde.

Au final le résultat semble insuffisant à l’AFEP sur un certain nombre de points centraux :

  • l’argumentation globale est discutable,
  • le caractère arbitraire et non collégial de la procédure tranche singulièrement avec ce qui avait été annoncé,
  • le nombre de revues promues est dérisoire.

La liste est votée.

 Domaine « Economie et institutions »

Le groupe de travail est également en charge de proposer un domaine « Economie et institutions » pour mieux faire reconnaître des revues maltraitées dans les classements.

Le groupe de la commission parvient à définir un périmètre de revues qui, bien que trop réduit au regard des propositions de l’AFEP, lui paraît constituer aussi un progrès.

Cependant, lorsque vient le moment d’établir un classement, les mécanismes de tri les plus stricts (et arbitraires) opèrent.

Pour présenter la liste, une seule comparaison suffit :

  • Alors que pour l’ensemble des revues 36,6 % sont classées A et 26 % C,
  • pour les revues du champ « Économie et institutions » le classement proposé est respectivement de 8,6 % en A et 68,6 % en C !

tableau listes revuesDeux arguments sont débattus qui conduisent la commission à rejeter, dans sa grande majorité (10 voix sur 12 pour « ne pas voter sur cette liste »), cette proposition :

  • le premier concerne la procédure : informations incomplètes et pas suffisamment justifiées
  • le second concerne le classement lui-même, qui est instrumenté pour très faiblement valoriser les revues de ce domaine.

Résultat: La commission décide de sursoir au vote de cette proposition. Il est demandé aux économistes de la commission de reformuler une nouvelle proposition de liste de domaine « Economie et institutions ».

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Ces deux années de concertation n’aboutissent à aucune ouverture, et montrent, s’il était encore nécessaire, que les processus visant à classer les qualités de l’incommensurable sur une base mécanique, conduisent inévitablement à l’impasse : le résultat finit, comme toujours, par être le reflet de l’état général des rapports de force, c’est à dire en défaveur absolue du pluralisme. Ces deux années témoignent aussi d’une grande incapacité pour les économistes issus de traditions trop radicalement différentes, de dialoguer tant les espaces d’intercompréhension sont  minces, voire inexistants.

L’urgence de la création d’une nouvelle section n’a jamais été aussi forte…

Paris, le 19 septembre 2014
Pour Le Conseil d’administration de l’AFEP
Jean-Paul Domin, Florence Jany-Catrice, Thomas Lamarche

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