Tribune d’A. Orléan et de l’AFEP [Le Monde, 29 janvier 2015] : Les économistes également ont besoin de concurrence

L’original de cette tribune est disponible sur le site du Monde

 

Cette tribune lance une pétition demandant la mise en place de la nouvelle section maintenant.
Elle est signée par 110 personnes issues de plusieurs disciplines, nationalités, et statuts
(liste disponible sur la page de la pétition)

Si vous voulez vous associer à cette demande adressée à la Ministre et en signant notre pétition,  cliquer sur :

Pétition pour le , Maintenant !”

Les économistes également ont besoin de concurrence

Dans ces mêmes colonnes, le 4 juillet 2012, plusieurs grandes voix des sciences sociales demandaient au gouvernement de garantir le pluralisme au sein des institutions de recherche et d’enseignement de l’économie, pluralisme sans lequel il ne saurait y avoir, dans notre pays, un débat démocratique informé et rigoureux. Il s’agissait alors de tirer les leçons de la crise financière de 2008 qui avait montré combien pouvait être contre-productive une pensée économique trop homogène et trop sûre d’elle-même. Or nous sommes aujourd’hui obligés de constater que ces leçons n’ont pas été entendues : rien n’a changé, ni dans les programmes de recherches, ni dans l’enseignement. Cela tient à la position de monopole qu’occupent aujourd’hui les approches dite « mainstream » (“dominantes”).

[saut e ligne]

In these same columns on 4 July 2012, several major figures in the social sciences asked the French government to guarantee pluralism in all institutions engaged in research and teaching in economics. Without this pluralism, our country cannot possibly engage in informed and rigorous democratic debate. The objective at that time was to draw lessons from the 2008 financial crisis, which had demonstrated how counterproductive economic thinking characterised by excessive uniformity and an overweening self-confidence could be. Today, however, we have to acknowledge that these lessons have not been heeded: nothing has changed, either in research programmes or in teaching. This is due to the monopoly position that so-called ‘mainstream’ approaches occupy today.

D’autres traditions de pensée

[saut de ligne]

Soyons clairs, nous ne nions en rien l’intérêt de celles-ci, ni leur rayonnement, ni ne demandons qu’elles soient de quelque manière contraintes. Mais nous faisons valoir qu’il existe, en France comme à l’international, d’autres traditions de pensée qui bien que bénéficiant auprès des chercheurs et des étudiants d’une forte attractivité se trouvent bloquées du fait d’une pratique à courte vue de la règle majoritaire qui permet à ceux qui dominent de tout s’approprier. Cette destruction du pluralisme en économie ne peut être niée ; le constat en a été maintes fois fait dans une succession de rapports officiels. Un récent travail statistique a encore montré que, sur la période 2005-2011, sur 120 nominations de professeurs, seuls 6 appartenaient à des courants minoritaires, soit 5% !
Un prise de conscience s’en est suivie dont la création de l’AFEP (Association Française d’Economie Politique, forte de plus de 600 docteurs en économie et sciences sociales) en 2009 sur le mot d’ordre de « défense du pluralisme en économie » est le signe le plus visible. Cette association a alors proposé qu’à titre expérimental, pour quatre ans, un nouvel espace de recherche et d’enseignement soit ouvert pour permettre à cette conception alternative d’une économie « ancrée dans les sciences sociales » d’exister. Au bout de ces quatre années, au vu des résultats, la décision serait prise, soit d’en pérenniser l’expérience, soit d’y mettre fin. Cette proposition équilibrée, qui, rappelons-le avec la force, n’enlève rien au fonctionnement, ni aux moyens de l’économie « mainstream », a reçu un fort soutien dans le corps des enseignants-chercheurs d’économie puisqu’avant même son existence 300 d’entre eux (sur 1800) ont signé une déclaration solennelle dans laquelle ils disent leur souhait de rejoindre un tel espace dès lors qu’il serait créé.

[saut de ligne]

carreblancRéaction violente
L’urgence du problème posé, la simplicité de la solution proposée ainsi que le fort soutien qu’elle a reçu dans la communauté académique ont convaincu le ministère qui, début décembre 2014, a annoncé la création d’un nouveau domaine sur le thème « économie et société », à côté des quelques 80 sections qui existent déjà. Dès que cet accord fut connu, il s’en est suivi une réaction violente.

[saut de ligne]

Le président de l’actuelle section « Sciences économiques » a menacé de démissionner si le décret n’était pas abrogé ! Une partie des doyens de faculté d’économie et lui-même affirment, dans le Figaro du 4 janvier 2015, que cette création va servir à « caser les ratés ou frustrés » du système universitaire, « ceux qui n’arrivent pas à se faire publier dans des revues de renom ». Ils ajoutent pour faire bonne mesure : « la ministre s’est fait rouler par les gauchistes ». Nous avions pensé qu’un tel argumentaire, avancé non pas par des internautes auto-radicalisés mais par les plus hautes personnalités de l’institution économique universitaire, permettrait aux ministres de mesurer concrètement ce qu’il en est de la pratique du pluralisme et du dialogue dans nos institutions. Cela donne une idée en vraie grandeur de ce que nous ne cessons de répéter quand nous expliquons que, dans le cadre actuel, le divorce est la meilleure solution pour pouvoir se reparler à nouveau. Le Ministère aurait pu également s’interroger sur la logique d’un argument qui traite 300 enseignants-chercheurs de « ratés » et de « frustrés » pour, dans le même temps, s’opposer avec la dernière violence à leur départ ? Malheureusement, la réaction du ministère fut tout autre : l’annonce de la nouvelle section a été ajournée.

[saut de ligne]

Attitude suicidaire
L’économie est assurément une science difficile. L’attitude consistant à croire qu’on a absolument raison et que les autres sont des « nuls » est suicidaire. A-t-on oublié le terrible échec des économistes, incapables de mettre en garde contre la crise de 2008 ? Ne faut-il pas réagir ? Rappelons que pendant vingt ans, l’efficience financière a été vendue urbi et orbi comme étant la « proposition économique ayant les fondements empiriques les plus solides » ! Être innovant dans un monde qui bouge, ce n’est pas nécessairement aller là où la majorité se trouve déjà. Or, en France, nous possédons un trésor : cette manière de faire de l’économie qui remonte aux Annales et à Braudel et mêle des auteurs aussi variés que Commons, Marx ou Keynes. Elle a une longue histoire et de nombreux soutiens. Il n’est pas aisé de la résumer en quelques mots car elle se veut elle-même farouchement plurielle. Elle pense que le progrès vient d’une hybridation de l’économie et des sciences sociales. De nombreux chercheurs et de nombreux étudiants s’y reconnaissent. Tant mieux ! Leur permettre de suivre leurs intuitions n’enlève absolument rien à ceux qui veulent faire autrement. Cette nouvelle section doit être vue comme un plus pour tous : d’abord pour ceux qui auront à coeur de faire la preuve que leur théorie fonctionne, mais aussi pour le mainstream qui a assurément besoin de l’aiguillon de la concurrence s’il veut progresser et continuer à être innovant. N’est-ce pas là une proposition que tous les économistes devraient être capables d’entendre ?

[saut de ligne]
Madame la ministre, en ces jours où le pluralisme est tant revendiquée, allez au bout de votre projet, donnez une chance à la liberté d’expression d’idées économiques diverses : créez une nouvelle section « économie et société » !

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Let us be clear: we do not in any way deny the value of these approaches, nor their influence and nor are we demanding that they be in any way constrained. However, we would argue that, both in France and abroad, there are other intellectual traditions which, although very appealing to academics and students, are fettered by a short-sighted adherence to majority rule, which enables the dominant approaches to enjoy exclusive control of economic thinking.

[saut de ligne]

Awareness of this situation subsequently increased, the most visible sign of it being the founding of the AFEP (Association Française d’Economie Politique), whose membership now includes more than 600 PhDs in economics and the social sciences. This association proposed that, by way of experiment, a new research and teaching space should be opened up for four years in order to enable this alternative approach to economics, ‘rooted in the social sciences’, to stay afloat. At the end of these four years, it would be decided either to continue the experiment or to put an end to it, depending on the results. This balanced proposal which, let us reiterate most strongly, takes nothing away from the activities of mainstream economists or the resources devoted to them, attracted considerable support from academic economists – even before its existence, 300 of them (out of a total of 1800) signed a solemn declaration in which they expressed their wish to contribute to such a space as soon as it was established.

[saut de ligne]

 The urgency of the problem, the simplicity of the proposed solution and the strong support it received in the academic community convinced the ministry, which at the beginning of December 2014 announced the launch of a new field of teaching and research on ‘economics and society’, which would join the 80 or so sections already in existence. The reaction to the announcement of this agreement was both rapid and violent. The chair of the current ‘Economics’ section threatened to resign if the ministerial decree was not abrogated! A number of deans of economics faculties and he himself declared in the Figaro of 4 January 2015 that the new section would serve only ‘as a home for the failures and frustrated elements’ of the university system, ‘those who do not succeed in getting their work published in reputable journal’. They added, for good measure, that ‘the minister has been taken in by the leftists’. We thought that such an argument, advanced not by self-radicalised net surfers but by the most senior figures in the world of academic economics, would enable ministers to gauge precisely the state of pluralism and dialogue in our universities. It clearly demonstrates the reality of what we have repeatedly declared when we explain that, in the current situation, divorce is the best solution, one that will enable us to start talking to each other again. The Ministry could also have questioned the logic of an argument that declares 300 academics to be ‘failures’ or ‘frustrated’ while at the same opposing their departure with the utmost vehemence.

[saut de ligne]

 Economics is most assuredly a complex and, at times, confusing discipline. The belief that one is absolutely right and all the others have absolutely nothing to contribute is suicidal. Have we forgotten the terrible failure of economists to warn the world of the 2008 crisis? Should we not react? Let it not be forgotten that for twenty years financial efficiency was proclaimed from the rooftops as the ‘economic proposition with the most solid empirical foundations’! To be innovative in a changing world is not necessarily to go where the majority are already located. Now in France we have in our possession a treasure house, namely the way of doing economics that goes back to the Annales School and to Baudel and includes authors as diverse as Commons, Marx and Keynes. It has a long history and many supporters. It cannot be easily summarised in a few words since it likes to think of itself as fiercely pluralist. It takes the view that progress results from an amalgamation of economics and the other social sciences. Many researchers and students identify with this approach. Good for them! Allowing them to follow their intuitions takes absolutely nothing away from those who wish to do things differently. This new section must be seen as an asset for everyone, for those who are keen to prove that their theory works as well as for the mainstream, which certainly needs the spur of competition if it wishes to advance and continue to be innovative. Is this not a proposal that all economists should be able to understand?

[saut de ligne]

Minister, at a time when pluralism is so widely proclaimed, we urge you to see your project through to completion. Give the freedom to express heterodox ideas in economics a chance and establish the new ‘Economics and Society’ section!

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