Lettre ouverte : Défendre le pluralisme en économie dans l’enseignement et la recherche

Fragilisés mais intellectuellement dynamiques et solidement ancrés dans les questions contemporaines, les courants d’économie politique, garants d’approches alternatives constructives et rigoureuses, ne pourront survivre en France que si les institutions académiques (Universités et CNRS) sont sérieusement réformées.

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, la France a toujours entretenu une longue et riche tradition de pensées plurielles, critiques et innovantes. Ceci est tout particulièrement vrai pour les sciences économiques alors même que celles-ci sont de plus en plus formatées et normalisées au niveau national et international par un courant mainstream d’inspiration anglo-saxonne. La France est parvenue à se bâtir une réputation internationale grâce à des travaux d’économie politique originaux, ouverts aux autres sciences sociales, que ce soit ceux de la théorie de la Régulation (Aglietta, Boyer, etc.), ou encore de l’économie des conventions (Eymard-Duvernay, Favereau, Thévenot, etc.).

Pourtant, ces diverses approches d’économie politique dont la France est encore riche (le marxisme, l’analyse keynésienne, la socio-économie, l’institutionnalisme mais aussi l’économie écologique), ont été progressivement marginalisées par les institutions académiques françaises (Universités et CNRS principalement) à partir du début des années 2000. Cette marginalisation est largement due à des procédures de recrutement biaisées, tel le désuet concours de l’agrégation du supérieur, qui ont permis au courant majoritaire de s’approprier la grande majorité des postes ouverts aux concours, sans aucun souci de justice, de pluralisme ou de démocratie. Ont ainsi été intentionnellement écartés les profils d’économie politique, par nature plus critiques quant aux ravages occasionnés par le capitalisme sur le plan social et environnemental. Ce manque de pluralisme se retrouve également au niveau des enseignements de l’économie dans le supérieur.

La grande crise de 2008-2009 a été l’occasion d’une prise de conscience de cette marginalisation par les économistes hétérodoxes français, toutes tendances confondues, dont la pertinence des constats était devenue inversement proportionnelle à leur importance académique. Aussi, pour peser dans les débats et proposer une alternative, se sont-ils regroupés au sein de l’association française d’économie politique (AFEP), considérant que cette crise économique était également une crise de la science économique. C’était leur manière de répondre à la question de la reine Elizabeth II d’Angleterre posée à la London School of Economics en novembre 2008 : « Pourquoi personne n’a-t-il vu venir la crise financière ? ».

Depuis plus de dix ans, l’AFEP produit de l’expertise sur les dégâts que fait subir à la science économique et au débat public démocratique l’avènement d’une pensée économique largement monocolore. Elle a publié plusieurs ouvrages à ce sujet, en particulier « À quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ? ». Soucieuse de comprendre les mécanismes de sa marginalisation pour élaborer des solutions, elle a d’abord identifié les verrous institutionnels qui empêchaient – et empêchent encore à ce jour – le retour du pluralisme dans l’enseignement supérieur et la recherche. Parmi ces verrous figurent en premier lieu la « tyrannie des revues » et la section d’économie du CNU, qui se caractérisent par une cécité structurelle à reconnaître et valoriser les problématiques et pensées alternatives au courant dominant. Au-delà de ce constat, l’AFEP a proposé, pour sortir de cette situation, la création d’une nouvelle section, intitulée « Economie et Société », qui permettrait au pluralisme des approches de se maintenir et de s’enrichir. Si cette solution a été étudiée avec un certain intérêt sous la présidence Hollande, de puissants intérêts conservateurs et monopolistes ont œuvré pour que ce projet reste dans les cartons. Il demeure cependant toujours aussi nécessaire.

Fragilisés mais intellectuellement dynamiques et solidement ancrés dans les questions contemporaines, les courants d’économie politique, garants d’approches alternatives constructives et rigoureuses, ne pourront survivre en France que si les institutions académiques (Universités et CNRS) sont sérieusement réformées.

C’est dans ce contexte, et à l’approche des élections présidentielles, que nous souhaitons connaitre vos propositions en vue d’instaurer le nécessaire retour du pluralisme dans l’enseignement supérieur et la recherche en économie.

Contact : secretariat@assoeconomiepolitique.org

Le 16 novembre 2021,

Florence Jany-Catrice, Présidente de l’AFEP, et André Orléan, Président d’honneur de l’AFEP, au nom du CA de l’association

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