Marianne [20 janvier 2015] Quand Fioraso soutient la dictature des économistes orthodoxes

Cet article d’Emmanuel Levy peut être consulté sur le site de Marianne

Opposés à ce fâcheux penchant qu’est l’économisme, Bernard Maris et l’Association française d’économie politique voulaient voir naître une nouvelle section “Economie et société” aux côtés de l’actuelle section “Sciences économiques” au sein du Conseil national des universités. Las, les économistes orthodoxes ont reçu le soutien de la secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, comme le prouve la lettre que nous nous sommes procurée.

Benoît Hamon l’avait promis, sa remplaçante au ministère de l’Education Najat Vallaud-Belkacem aussi. Pourtant, la création d’une seconde section d’économie, « Economie et société », aux côtés de l’actuelle section « Sciences économiques », au sein du Conseil national des universités n’aboutira pas. Porté notamment par le regretté Bernard Maris et, avec lui, l’ensemble de l’Association française d’économie politique (Afep), le projet pour un enseignement s’ouvrant aux économistes hétérodoxes, a été enterré sans fleurs ni couronnes. Adressée à Jean-Loup Salzmann, président de la Conférence des présidents des universités, et lui même défenseur du projet, la lettre de Geneviève Fioraso que Marianne s’est procurée est sans ambiguïté.

Malgré les engagements de ses ministres de tutelle, la secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche se contente d’y rappeler « la disposition introduite dans le nouveau décret relatif aux enseignants chercheurs pour expérimenter pendant quatre ans la suppression du contingentement des recrutements par voie normal ». Bref, en langage simple, de la diversité façon Sciences Po sans grand effet… Le système de sélection des élites professorales via la voie d’excellence, l’agrégation, demeurera donc inchangé et restera aux mains des économistes orthodoxes et néo-classiques.

C’est regrettable. Au fil du temps, notre système de formation des économistes s’est fermé. Quand il y a vingt ans encore, il pouvait produire des André Orléan, des Michel Agglieta et des Thomas Piketty, aujourd’hui il ne repose plus que sur un critère ou presque : le « marché » des idées qui fonctionne selon la « bibliométrie », c’est-à-dire sur la quantité de publications dans les revues spécialisées dont peut se prévaloir chaque chercheur. Récemment encore, André Orléan, professeur et président de l’Afep, dénonçait dans le Monde les dérives ce système.

A l’image de la revue scientifique Econometrica, les plus importantes sont en anglais… Et qui les a fait reines en France ? La section 37 du Comité national de la recherche scientifique. Autrement dit le fameux Conseil national des universités. La boucle est bouclée… Ces revues d’excellence fonctionnent un peu comme les agences de notations. Telle publication dans telle revue équivaut a un certains nombre de points, et c’est sur ces points accumulés qu’est construite la cote des universitaires. Evidemment, les revues en question ont un point de vue, des convictions. Et les plus orthodoxes en économie sont les mieux notées.

Pour les hétérodoxes, qui n’ont pas accès à ces revues, impossible donc d’entrer sur le marché international du professorat, le fameux « job market » où les patrons des grands établissements viennent faire leurs courses. Et voilà comment, notre système national d’enseignement de l’économie, est lui aussi tombé sous l’emprise de cette cotation…

Nous ne sommes pas seuls à souffrir d’un tel procédé. Andy Rodrick, professeur d’économie à Princeton s’est plaint également. Il a publié une liste des sujets d’économie à Harward en 1953… Et à la parcourir, on croirait un rêve d’économiste hétérodoxe. Grâce à Geneviève Fioraso, le rêve des économistes orthodoxes français, lui, ne touchera pas à sa fin de sitôt…

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