Comment Messieurs Cahuc et Zylberberg découvrent la science par André Orléan

Il n’est pas facile de lire sereinement le livre de Cahuc et Zylberberg. Non seulement parce que la violence du ton et des attaques peuvent dissuader les meilleures volontés, mais surtout parce que, sans cesse, le lecteur se trouve confronté à des contre-vérités manifestes et à des manipulations. Ce livre n’éclaire pas ; il obscurcit et déforme sciemment. Son but n’est pas la recherche de la vérité mais le désir de faire mal – ou de faire du buzz, ce qui est à peu près la même chose. L’usage du terme « négationnisme » est pleinement révélateur de cette volonté, non pas de réfuter ou de contredire, comme il sied à un débat contradictoire argumenté, mais de salir. Le livre s’ouvre sur le récit de l’affaire Lyssenko et, en effet, il y a dans le ton des auteurs comme des relents de guerre froide, de croisade purificatrice, d’ennemis irréductibles qu’il s’agit de détruire et d’exclure comme y invite explicitement le sous-titre : « comment s’en débarrasser ». Après la « science prolétarienne », il ne manque que les « vipères lubriques » pour que le tableau soit complet.

Malheureusement la haine rageuse ne fait pas bon ménage avec la justesse des analyses. Torquemada n’a pas été retenu par l’histoire pour la finesse de ses jugements. Ce livre n’est que poudre aux yeux. Il faut d’ailleurs noter que cela a fonctionné à merveilles. La mise en scène d’économistes scientifiques, repoussant avec abnégation tous les a priori idéologiques pour s’efforcer modestement de s’en tenir strictement aux faits, et ceci même lorsque ces faits les obligent à remettre en cause leurs convictions les plus intimes, est beau comme l’antique, surtout lorsque, face à eux, on donne à voir des négationnistes, sans foi ni loi, gauchistes motivés par la seule idéologie, n’ayant pour seul horizon que la destruction du capitalisme, au mépris de toute vérité. Cette mise en scène a fait un tabac médiatique. Il faut croire que la subtilité n’est pas une valeur en vogue. Même l’appel explicite à l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas dans le consensus n’a en rien altéré l’enthousiasme des nombreux commentaires.

Mais venons-en à la thèse qui est au cœur du livre : « depuis plus de trois décennies, l’économie est devenue une science expérimentale dans le sens plein du terme comme la physique, la biologie, la médecine ou la climatologie. » Assurément, c’est là une forte proposition qui donne matière à réflexion. Il est heureux de voir deux économistes sortir de leur terrain usuel – le marché du travail – pour s’intéresser aux questions difficiles, mais cruciales, de méthodologie et d’épistémologie. Rappelons que l’épistémologie est cette branche du savoir qui s’efforce de déterminer ce qui fait qu’une science est une science et qui étudie, tout particulièrement, les sciences expérimentales. Notons que ce sont là des sujets hautement techniques, qui demandent un bagage scientifique conséquent. Je signale ce point parce qu’une des conclusions centrales du livre est que « Pour ne pas se faire abuser par des informations pseudo-scientifiques, en économie comme dans tout autre domaine, il y a quelques principes à respecter ». Quels sont-ils ? « Une précaution minimale consiste à s’assurer que ces informations sont extraites de textes publiés par des revues scientifiques reconnues ». Et nos deux auteurs de mettre tout spécialement en garde contre les textes qui ne sont pas passés au crible de la critique d’authentiques spécialistes : « des résultats qui apparaissent pour la première fois dans des rapports ou des livres, même à gros tirage, n’ont aucune fiabilité. » N’est-ce pas stupéfiant ? Comment ne pas voir que les élucubrations épistémologiques de nos deux auteurs tombent précisément sous le coup de cette critique radicale ? À l’exception du “gros tirage”, il est vrai, mais on peut craindre que ce ne soit que momentané. Pour le reste, vous chercheriez en vain dans l’ensemble de leurs travaux le moindre article consacré à la méthode expérimentale en économie. Ils n’ont jamais rien publié sur ce sujet. Ce livre est leur première incursion dans ce domaine de telle sorte que, si l’on suit leurs propres critères, leurs analyses doivent être rejetées. Nous sommes face à un livre qui contient sa propre réfutation ! Et nous verrons, en effet, dans ce qui suit qu’il y a tout lieu d’être plus que sceptiques quant aux capacités de nos deux auteurs en matière d’épistémologie. Pour le dire simplement, ils n’y connaissent rien. À titre d’illustration, le livre contient approximativement 120 références. Dans ces 120 références, je n’en ai trouvé qu’une seule portant sur la question de la méthode expérimentale, à savoir un manuel d’introduction à l’épistémologie publié en 1987. Peut-on les prendre au sérieux lorsqu’ils déclarent que « l’économie est devenue une science expérimentale » ? Qu’en savent-ils ?

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